Le 14 novembre 2019, les adhérents du Groupe Patrimoines 71 étaient réunis dans les
salons de l’hôtel Senecé, siège de l’Académie de Mâcon, pour y célébrer les cinquante ans de
l’association. C’est en effet au printemps 1969 que le « Groupe 71 » est né, à l’initiative du
naturaliste Fernand Nicolas. Retour sur une fondation qui demanda plusieurs mois de
réflexion et d'échanges.
Depuis des années, les naturalistes de Saône-et-Loire, groupés en associations locales, se
réunissaient périodiquement pour mettre en commun leurs études. La fédération ainsi formée,
fondée en 1946 et dénommée Association départementale des sociétés scientifiques de Saône-
et-Loire, groupait dix sociétés (1), dont celle de Mâcon. La Société d'histoire naturelle de
Mâcon, devenue Société d'étude du milieu naturel (Sémina), prenait ainsi part aux réunions et
rencontres organisées par cette fédération, et c’est dans le cadre de ces échanges que son
président, Fernand Nicolas, professeur de sciences naturelles au lycée Lamartine de Mâcon, prit
conscience que l'objet des études naturalistes était particulièrement fragile. Au point que celui
qui fut le premier en Saône-et-Loire à parler de protection de la nature – il était conseiller
biologiste départemental et délégué départemental de la Ligue pour la protection des oiseaux –
se résolut à lancer une action en faveur de cette nature qui lui était si chère. Une action toute en
conscience, qui fut sous-tendue par une volonté qu’il explicita en ces termes : « [Une] idée-
force avait germé chez quelques-uns d’entre nous : ne pas opposer la nature et l’homme mais
considérer l’homme comme un des éléments du monde naturel. Les œuvres humaines ne sont
pas plus artificielles que les nids, les tours des termites ou les toiles d’araignées. Mais, d’autre
part, la nature n’est pas à considérer en fonction de l’intérêt que l’homme peut lui accorder […]
mais pour elle-même. »
Diverses conférences permirent de « prendre la température
». S'ensuivirent des discussions privées avec différents
membres des sociétés naturalistes ainsi qu’avec des
personnalités diverses, parmi lesquelles messieurs Georges
Poirmeur, Pierre Rancien et René Chasles, respectivement
directeur des services du génie rural à la direction
départementale de l'Agriculture, directeur des services
vétérinaires du département et chef de service chargé du
tourisme à la préfecture. Fernand Nicolas, Marseillais de
naissance et Mâconnais d’adoption après une enfance passée
à Chalon-sur-Saône, était un admirateur inconditionnel des
richesses de la Saône-et-Loire et c’est ce sentiment profond
qui finit par se mêler à sa conviction d’origine d’une
nécessaire protection à exercer dans le domaine naturel. « Si
j’ai créé jadis le Groupe 71, c’est en raison d’un amour
réaliste pour le département de Saône-et-Loire ! » Et c’est
comme cela que germa l’idée de mettre en valeur par une
revue les « trésors » de ce département… Un projet dont il
s’ouvrit en premier lieu à René Chasles, qui le trouva fort
intéressant mais ne voulut pas s’y consacrer. Fernand Nicolas
recueillit alors l'avis de plusieurs de ses amis, notamment de
Jean Chougny, professeur de mathématiques au lycée
technique de Mâcon, conseiller scientifique et conférencier
attaché à la Protection civile, à qui il se confia au printemps
1968 (2). Fernand Nicolas, bien que convaincu, hésitait à se
lancer et tenait à être soutenu… André Bourgeois, instituteur
à Mâcon – et par ailleurs voisin du couple Nicolas, rue Beau-
Site –, fut également consulté. Quelques responsables de
sociétés scientifiques se laissèrent eux aussi persuader, et
c’est ainsi que s’installa définitivement dans l’esprit du
naturaliste l'idée de créer une revue et, à cet effet, de fonder
une structure nouvelle dans le département.
En guise de « préparation », Fernand Nicolas conçut l’idée
d’organiser un colloque consacré à la « protection des richesses
naturelles », événement qu’il évoqua ultérieurement en ces
termes : « Saisi par je ne sais quelle inspiration, je fus le premier
à prêcher ici, d’abord aux scientifiques, la protection de la
nature. Je souhaitais aussi, commençant à connaître un peu notre
département […], créer une revue pouvant faire connaître les
richesses naturelles ou culturelles de Saône-et-Loire. Soutenu
par quelques rares amis […], j’ai donc lancé un appel à des
naturalistes [et] j’ai pu lancer un colloque (national de fait) de
protection de la nature. Riche rencontre qui a convaincu les
quelques promoteurs mâconnais d’aller de l’avant. » Ce
colloque se déroula à Mâcon (3) le dimanche 8 décembre 1968,
sous l’égide de la Société nationale de protection de la nature,
de la Ligue pour la protection des oiseaux, du bureau Mar (pour
la conservation et l’aménagement des zones humides), de
l’Association départementale des sociétés scientifiques et de
Saône-et-Loire Tourisme (4). Y participèrent une brochette de «
pointures », dont faisaient partie le naturaliste mâconnais Gérard
Balvay (chercheur à l'INRA de Thonon-les-Bains), plusieurs
présidents de sociétés scientifiques mais, également, des
universitaires tels Philippe Lebreton (professeur de biologie à la
faculté de Lyon et président du centre ornithologique Rhône-
Alpes) et le juriste Jean Untermaier (assistant à la faculté de
droit de Lyon), les professeurs François Bugnon, botaniste, et
Henri Tintant, paléontologue, des responsables de l'agriculture
(M. Lebard), des services vétérinaires (docteur Pierre Rancien)
et du tourisme (René Chasles), ainsi que le journaliste CIaude-
Maurice Maringue et Antoine Reille, secrétaire général de la
LPO. La rencontre donna lieu à une douzaine de « causeries »
(5), que conclut une intervention de Fernand Nicolas intitulée «
Sens de ce premier congrès et possibilités d’action » au cours de
laquelle fut présentée la maquette d'une revue intitulée « 71 »
(6), frappée d’un sigle évocateur dessiné par l’artiste Georges
Vince, professeur de dessin au lycée Lamartine de Mâcon (7).
Une rencontre réunissant Fernand Nicolas, l’artiste mâconnais
et Jean Collin, directeur-gérant de l’imprimerie Buguet-
Comptour de Mâcon (8), permit de définir l’aspect que revêtirait
la revue, à une époque où la composition se faisait toujours au
plomb, à l’aide d’une linotype, avant impression typographique
(9). Le format retenu fut le « in-quarto raisin », qui permettait
l’insertion de plusieurs colonnes et la présence d’une marge.
Les couleurs de couverture furent également choisies, de même
que le nombre de pages, qu’on fixa à 28 (hors couverture
cartonnée). Jean Collin, d’emblée, fut séduit par le naturaliste,
rencontrant en Fernand Nicolas un homme parlant avec
enthousiasme de son projet et s’intéressant aux nouveautés de
l’impression (10). Séduit au point… de faire crédit ! L’aventure,
en effet, démarra sans la moindre avance de fonds, sans un seul
encart publicitaire, sans mécène, sans subventions, sans la
promesse d’un appui financier quelconque. « On commença
financièrement à zéro. »
« ["71"] s’adresse d’abord à un groupe de Français que diverses
circonstances ont rapprochés, ont fait vivre et travailler côte-à-côte sur
ce lopin de terre qu’on appelle Saône-et-Loire. Elle veut être pour eux un
peu comme un album de famille, elle doit leur permettre de se connaître
mutuellement et de s’estimer. C’est pourquoi, coupant avec une formule
désuète, elle souhaite la collaboration de tous ceux qui observent
attentivement et affectueusement leur terroir, leur cité ou leur bourgade,
de tous ceux qui savent à la fois aimer le passé et se faire comprendre de
leurs contemporains, de tous ceux, si humbles soient-ils, qui ont enrichi
leur esprit et leur cœur au contact de la nature des œuvres humaines, et
ne savent pas comment communiquer autour d’eux la ferveur de leur
admiration. [….] Notre revue veut […] également adresser un message à
ceux qui, délibérément ou par hasard, traversent et visitent notre terre
d’entre Saône et Loire. […] Notre œuvre est grande : nous instruire
mutuellement, nous implanter dans une terre charnelle et retrouver si
nous le désirons la lumière d’un héritage spirituel souvent oublié,
favoriser une saine joie de vivre et contribuer à réchauffer la fraternité
humaine. » (Fernand Nicolas)
À la demande d’un ami commun, M. Chasles – qui lui aussi
pariait pour le succès de l’entreprise – Paul Champion acceptait
sans réticence la présidence de notre association, tout en laissant
au fondateur l’animation du Groupe. » Fernand Nicolas, quant à
lui, fut élu secrétaire-animateur, devenant responsable de fait des
activités et de la revue. L'entente fut excellente entre les deux
hommes, le président laissant la bride entre les mains de
l'animateur-fondateur mais veillant malgré tout au bon
fonctionnement de l'association. Jean Chougny fut choisi pour
être le trésorier de l’association. Lors de cette assemblée, le nom
de l'association fut explicité : « Groupe 71 pour la connaissance,
la protection et la mise en valeur du patrimoine humain et
naturel en Saône-et-Loire », ample programme… mais sage
limitation de l'espace d'action. Un objectif premier fut également
donné par les statuts adoptés : la publication d'une revue destinée
à mettre en valeur les richesses de la Saône-et-Loire. Dans la
foulée, une déclaration fut faite à la préfecture de Saône-et-
Loire, qui donna lieu à inscription au Journal officiel du 23 mai
1969. Le Groupe 71 et sa revue étaient nés…
Le premier numéro de la revue du Groupe parut en août
1969, et bénéficia d’une introduction élogieuse – et
encourageante – rédigée par le préfet de Saône-et-Loire en
personne : « En prenant connaissance des épreuves de ce
premier numéro de « 71, je constate avec plaisir que ces
efforts n’ont pas été vains et que vous avez su rassembler une
participation de qualité sur les sujets les plus variés qui
touchent à la fois à l’histoire, à l’archéologie, à la vie
naturelle et aux manifestations artistiques de notre région.
Par la qualité de sa présentation autant que par la richesse
culturelle de son contenu, cette revue constitue la première
manifestation concrète d’une coopération souhaitable entre
toutes les sociétés savantes de Saône-et-Loire, entre les
défenseurs de la nature et les amateurs d’art, entre les
historiens et les naturalistes, entre ceux qui se sont donnés
pour but de promouvoir le tourisme dans ce département et
ceux qui veillent jalousement à la conservation de son
patrimoine… » écrivit Jean Taulelle. Eurent les honneurs de
ce numéro fondateur l’église romane Saint-Martin de Laives,
la petite cité de Romenay, la place Saint-Vincent de Chalon-
sur-Saône, la commune de Saint-André-le-Désert, le musée
des Ursulines de Mâcon et… les cigognes faisant parfois
halte en Val-de-Saône !
Néanmoins, la revue, pour avoir vu le jour au cœur de l’été, ne
fut officiellement présentée au public qu’avec la parution de son
numéro 2, à l’occasion d’une réception organisée le 11 décembre
à la chambre de commerce de Mâcon. Plusieurs centaines de
personnes s’y abonnèrent aussitôt (14), et nombreux furent ceux
qui apportèrent leur soutien à la publication trimestrielle qui
venait d’être créée : « Chaque jour, quelque manifestation
d’amitié parvient à "71". Le plus souvent, il s’agit d’un mot de
félicitations ou d’encouragement accompagnant un réabonnement
[…] mais les petites notes se multiplient actuellement et c’est là,
sans aucun doute, notre meilleure satisfaction. » écrivait Fernand
Nicolas au printemps 1970.
Cinquante ans plus tard, la revue 71, devenue Images de Saône-
et-Loire, existe toujours !
NOTES
(1) : Qui étaient les sociétés d'Autun, Buxy, Chagny, Chalon-sur-Saône,
Cluny, Le Creusot. Givry, Louhans, Montceau-les-Mines… et Mâcon.
(2) : Ainsi que Fernand Nicolas l’a raconté : « Professeur dévoué,
mathématicien, il est devenu à Mâcon trésorier de nombreuses sociétés,
parmi lesquelles les Amis du Musée et la Société d’Histoire Naturelle et de
Préhistoire. C’est ainsi que nous nous sommes connus et je dois dire que
sa confiance m’a poussé à tenter l’aventure 71. Nous allions en Vercors
préparer un voyage scientifique, et c’est au long de 600 kilomètres de
route que je dévoilais mes projets, mes espoirs et mes doutes. » (Images
de Saône-et-Loire n° 12 de décembre 1971).
(3) : Organisé rue Victor Hugo, où était installée la direction
départementale de l’Agriculture, « dans la salle du Crédit agricole ».
(4) : Avec l'appui de la direction départementale de l'Agriculture et sous le
patronage du préfet Jean Taulelle et du conseil général de Saône-et-Loire.
(5) : Des causeries qui eurent pour thèmes : « Valeur écologique et
économique des zones humides », « Dimensions nationales et
internationales d’une action de protection », « Valeur d’un parc régional »,
« Les nappes phréatiques de Saône-et-Loire et leur conservation », «
Saône-et Loire et la Bourgogne », « Quelques aspects de l’action de
protection », « Un exemple de coopération entre agriculteurs, chasseurs,
scientifiques : la récente enquête sur les pigeons ramiers », « Nécessité
d’une centrale d’information de protection en Saône-et-Loire », « Quelques
problèmes de la chasse en Saône et Loire », « Problèmes de l’eau et de la
pêche en Saône-et-Loire », « Gibier d’eau en Saône-et-Loire » et «
Pollutions en Saône ».
(6) : « 71 » et non « Images de Saône-et-Loire », titre qui ne s’imposera
qu’avec les années (en référence à la mention figurant sur la couverture de
la revue dès son premier numéro pour signaler le caractère départemental
de la publication et l’importance donnée aux illustrations). « Certains
esprits se sont étonnés en 1969 de voir une grande revue prendre pour
titre un nombre. Ces personnes, cultivées mais par trop marquées par une
littérature d’une certaine époque, oubliaient la valeur attribuée aux chiffres
et aux nombres dans bien des civilisations. » (Fernand Nicolas).
(7) : Georges Vince (1921-2000) était l’un des plus proches voisins de Fernand
Nicolas, les pavillons de l’artiste et du couple Nicolas se faisant face rue Beau-
Site (Flacé-lès-Mâcon).
(8) : Alors installée au n° 4 de la rue Saint-Nizier à Mâcon, dans les sous-sols
de l’hôtel Senecé, siège de l’Académie de Mâcon.
(9) : Avant de passer au début de 1979 à la photocomposition et à l’impression
en offset, technique donnant une qualité améliorée aux photographies
10) : De fait, Fernand Nicolas s’investit énormément dans Images de Saône-et-
Loire, se faisant notamment connaître pour son exigence de perfection
graphique. « Je peux témoigner de sa présence attentive et intéressée dans
nos locaux, pour apprendre et comprendre, bien sûr, car c’était la base de sa
personnalité, mais toujours dans une position constructive, acceptant volontiers
de suivre les bases et les règles de la typographie. Nous avons vécu avec lui
une collaboration fructueuse. », écrivait Jean Collin le 27 octobre 2014 dans
une lettre adressée à la présidente du Groupe Patrimoines 71.
(11) : Composé, essentiellement, de « Chalonnais » : aux côtés de Fernand
Nicolas – mais en l’absence de Jean Chougny, indisponible – se réunirent Paul
Champion, le pharmacien Gilbert Prieur et Nicolas Muller, fonctionnaire
travaillant à la mairie de Chalon-sur-Saône (source : interviews de Jacques
Laneyrie, ancien membre du conseil d’administration du Groupe 71, de Jean
Chougny, premier trésorier de l’association, et de Gérard et Marie-Thérèse
Guénot faites par Annie Bleton-Ruget à Solutré et à Mâcon le 22 octobre
2018).
(12) : Réunion organisée en la salle de la justice de paix de Tournus et suivie
d’un vin d’honneur servi dans les salons de l’hôtel de ville de Tournus, en
présence du maire Raymond Gauthier.
(13) : Paul Champion était également président du Comité permanent
chalonnais des fêtes de bienfaisance (depuis 1945), président de la Fédération
nationale des villes organisatrices de carnavals et festivités (qu’il avait fondée),
vice-président de la Fédération régionale des syndicats d'initiative, vice-
président de Saône-et-Loire Tourisme et membre du comité régional du
tourisme. Officier du Mérite agricole, officier du Mérite sportif, officier des
Palmes académiques, chevalier du Mérite touristique, il avait été fait officier de
l'ordre national du Mérite en 1971. Décédé en 1986.
(14) : Le prix de l’abonnement d’un an à la revue, soit quatre numéros, ayant
été fixé à 12 francs.
Texte: Frédéric Lafarge
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